Opinion Réforme fiscale de Trump

Une victoire empoisonnée

Après son adoption par le Sénat américain dans la nuit du 2 décembre par une marge très mince (51 à 49), la réforme fiscale est à même de devenir le premier succès législatif majeur du gouvernement Trump. Une fois le processus d’harmonisation avec le projet de loi adopté par la Chambre et la signature du président complétés, la réforme aura force de loi.

Cette loi, qui demeure très impopulaire, a pour objectif principal d’amadouer quelques groupes d’intérêt, tout particulièrement les milliardaires qui contribuent aux caisses du Parti républicain, qui menaçaient de leur couper les vivres lors des élections partielles de 2018 et des présidentielles de 2020. Certains élus craignaient aussi un ressac de la part de l’aile Trump/Bannon qui promettait de contester plusieurs candidatures républicaines en 2018. Enfin, il fallait aussi créer l’illusion que Trump et la majorité républicaine étaient bel et bien capables de mettre leur agenda en pratique.

Le verdict quasi-unanime des spécialistes, y compris la plupart des économistes, est que la réforme fiscale aura un impact modeste sur la croissance, qu’elle augmentera le déficit (entre 1000 et 1500 milliards sur 10 ans selon deux organismes non partisans), qu’elle réduira les impôts de la classe moyenne de façon marginale à court terme pour ensuite les augmenter, et qu’elle bénéficiera principalement aux entreprises et aux plus fortunés. À moyen/long terme, le projet de loi constituera un transfert massif de richesse des moins fortunés vers les mieux nantis. La réforme porte également un coup dur, potentiellement fatal, à l’Obamacare en éliminant le mandat individuel, ce qui aura pour effet de laisser 13 millions de personnes sans couverture santé.

Les républicains et le président Trump continuent de prétendre que les nouvelles liquidités mises à la disposition des entreprises et des mieux nantis seront massivement réinvesties dans l’économie, ce qui propulserait la croissance (10 % en 10 ans selon Trump) et créerait des millions d’emplois. 

Pourtant, cette approche, tributaire de la fameuse théorie du ruissellement trickle-down economics, a été largement discréditée et a contribué à creuser les inégalités de manière significative aux États-Unis. 

De plus, les problèmes qui affligent l’économie américaine aujourd’hui ne découlent pas tant de l’absence de liquidités (qui sont à des niveaux record, tout comme les profits), du chômage (qui se situe à 4,1 %), ou de la croissance (dont le rythme actuel se situe à 3,3 %), que de la stagnation des revenus et du niveau de vie de 60 % de la population.

Rien dans la réforme fiscale ne s’attaque aux inégalités, dont les niveaux se comparent avec certains pays en voie de développement, et il est fort probable que cette réforme ne fasse qu’exacerber le problème. En effet, certains individus qui bénéficieraient de la réforme, comme le multimilliardaire Ray Dalio (fondateur de Bridgewater Associates ; 160 milliards d’actifs), ont sonné l’alarme quant à ses effets potentiellement dévastateurs sur la santé, l’éducation et même la paix sociale. Un autre financier, John Bogle, fondateur de Vanguard Group, a qualifié la réforme d’« abomination morale », soulignant que « la part des profits dans le PNB est au plus haut niveau depuis 1929, alors que celle des salaires est au plus bas niveau depuis 15 ans » (28 novembre, 2017).

Dans l’ensemble, cependant, Wall Street et les dirigeants des grandes entreprises ont été peu bavards sur la réforme fiscale, et se sont gardés d’entériner les promesses des républicains sur ses retombées réelles pour la classe moyenne. Les indices boursiers, par contre, ne se sont pas astreints à la même discrétion, anticipant avec enthousiasme les effets de la réforme sur le cours des actions. Selon toute probabilité, les nouvelles liquidités serviront d’abord et avant tout à hausser les dividendes, racheter les actions des entreprises, effectuer des fusions et acquisitions, et investir dans des nouvelles technologies (automation et robotisation) qui contribueront à réduire les besoins en main-d’œuvre et les pressions sur les salaires.

Vers une défaite républicaine aux élections de mi-mandat de 2018 ?

Même si les Américains en savent peu sur la réforme, ils demeurent sceptiques devant la promesse de Trump qu’ils recevront « un énorme cadeau de Noël ». Selon un sondage Quinnipiac, la réforme fiscale est la plus impopulaire de l’histoire. Seulement 16 % des répondants croient qu’ils vont en bénéficier, et 61 % pensent qu’elle profitera aux plus fortunés.

L’enjeu de la réforme fiscale, y compris le sabotage de l’Obamacare, sera déterminant lors des élections de mi-mandat. En dépit du soutien des bailleurs de fonds, il sera très difficile pour les républicains de renverser la vapeur et de gagner leur pari sur la réforme fiscale. L’impopularité du président Trump et l’étau de l’enquête Mueller qui se resserre autour de lui, ajouteront aux difficultés du parti.

Une majorité démocrate en Chambre ou au Sénat (ou les deux) en 2018, n’empêchera pas les républicains d’occuper la Maison-Blanche jusqu’en 2020, mais elle pourrait bien porter le coup de grâce à la présidence de Trump.

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